mardi 31 mai 2016
En pleine bataille contre l’inversion de la hiérarchie des normes, cette note sur la situation allemande est saisissante. Point particulièrement remarquable : les patrons se retirent massivement de leurs syndicats pour pouvoir déroger aux accords de branches...
Cette note a pour objectif d’apporter un éclairage sur la situation du marché du travail en Allemagne suite aux réformes qui ont eu lieu ces dernières années, ne concernant pas uniquement le marché du travail mais aussi d’autres mesures fiscales, sociales et réglementaires ayant permis d’instaurer une autre politique économique et sociale du pays. Il est à craindre, en effet, qu’elles soient appliquées en France aussi. D’ailleurs, certains dirigeants français, Michel Sapin en particulier, ont confirmé que François Hollande avait bien rencontré Peter Hartz1, l’industriel allemand, « sans que pour autant il soit devenu un conseiller du Président ». « On a le droit d’ouvrir les oreilles, d’ouvrir les yeux, on n’est pas obligé de suivre pour autant ». La négociation collective en Allemagne s’effectue à deux niveaux : la branche et l’entreprise. La négociation de branche constitue le pilier de la négociation collective. La négociation nationale interprofessionnelle n’existe pas en Allemagne. La Loi fondamentale allemande reconnaît constitutionnellement le droit des partenaires sociaux de déterminer des normes sociales par accords collectifs sans intervention étatique. Le droit allemand, confère une grande autonomie contractuelle aux partenaires sociaux, autonomie doublée d’un pouvoir normatif en vertu de la loi sur les accords collectifs. Il a conféré à ces derniers la qualité de norme juridique (§ 1 I Tarifvertragsgesetz). Cependant, ce pouvoir n’est pas illimité puisque la loi sur les accords collectifs d’entreprise ainsi que la jurisprudence ont limité l’objet des accords aux rémunérations et aux autres conditions de travail. Il existe deux catégories d’accords en droit allemand : 1. les conventions collectives de branche « Tarifvertrag » qui contiennent des normes qui organisent le contenu, la formation, la fin du contrat de travail et règlent les questions relatives à la gestion des entreprises et à leur organisation interne (§1 TVG). L’accord de branche détermine le salaire effectif, comme c’est le cas en France pour les fonctionnaires. Les conventions collectives de branche sont signées entre une organisation syndicale et un employeur ou association d’employeurs. 2. les accords d’entreprise « Betriebsvereinbarung » (BetrVG) portent essentiellement sur les conditions individuelles de travail et sont conclus entre le comité d’entreprise et l’employeur. Ces dernières années les accords d’entreprise se multiplient, bien que la loi affirme la primauté des accords collectifs de branche sur les accords d’entreprise sans que la jurisprudence ne le condamne clairement. Ainsi, le cadre législatif initial peut donc être parfois dépassé pour une plus grande flexibilité sur le marché du travail. D’ailleurs, la négociation collective est utilisée de plus en plus notamment dans les grandes entreprises comme un véritable outil de gestion de l’entreprise. Cette évolution, correspond à une certaine crise de la négociation de branche.
Depuis un certain temps, les organisations patronales offrent des affiliations « hors couverture collective ». Aussi, les entreprises affiliées sous ce statut bénéficient des avantages de l’affiliation à une organisation patronale, mais elles ne sont pas soumises à l’application des conventions collectives conclues par cette organisation. IG Metall, le syndicat allemand de la métallurgie se bat depuis plusieurs années contre la fuite d’entreprises en dehors du périmètre couvert par les conventions collectives. Ainsi, depuis le début des années 1990, le nombre des entreprises affiliées aux organisations patronales a baissé d’environ 70% à 52% en Allemagne de l’Ouest, et 65% à 17% (sic !) dans l’ancienne Allemagne de l’est.
Ces entreprises n’appliquent pas les salaires des accords collectifs de leur champ géographique. Les salaires sont inférieurs entre 21 et 32% au niveau garanti par l’accord collectif.
Éléments non-salariaux dans les négociations
IG Metall mène en parallèle une campagne contre l’intérim et l’utilisation des contrats de service qui concernent souvent des travailleurs (faux) indépendants dans l’industrie. Pour appuyer les revendications salariales, les syndicats ont mis en avant la bonne situation économique du secteur : les livres de commande sont pleins, les usinent tournent à plein régime et les taux de profit sont élevés. Les perspectives d’évolution, annoncées par le patronat lui-même sont à la stabilité. Cette
situation favorable concerne aussi bien les grandes entreprises que les PMI/PMEs du secteur.
Les négociations sur les salaires étaient l’occasion de cibler les actions (grèves) dans des entreprises qui n’étaient pas couverts par les accords et de les presser de rejoindre la convention collective. Ce qui a payé pour une quarantaine d’entreprises (10.000 salariés).
Le syndicat unifié des services « Ver.di » et celui des fonctionnaires DBB ont eux aussi mené campagne à l’occasion d’une négociation parallèle, ainsi la classification de 1088 métiers (soit un quart des métiers) a été refondée, et les pensions d’entreprise ont été garanties (à travers des cotisations supplémentaires, salariales et patronales).
La réforme du marché du travail en Allemagne a commencé par les réformes Hartz qui ont eu lieu en Allemagne entre 2003 et 2005, sous le mandat du chancelier Gerhard Schröder (SPD socialdémocrate).
L’inspirateur de ces réformes, Peter Hartz, était le directeur du personnel de Volkswagen, où il négocia des accords sur la flexibilité des horaires. Elles ont été mises en place progressivement, sous la forme de quatre lois, mais la plus importante est la loi Hartz IV.
Cette série de réformes a été la rupture la plus profonde de l’assurance-chômage allemande depuis sa création en 1927. Suite à ces réformes, les droits des salariés allemands n’ont cessé de reculer avec la progression de l’emploi précaire, avec une augmentation du dumping social et une dégradation des conditions de travail et de vie. Ainsi le nombre de travailleurs pauvres a pris une telle ampleur que suite
à une très forte pression des syndicats, le gouvernement allemand a décidé, en janvier 2015, de mettre en place un salaire minimum. « À partir de 2009-2010, les emplois à bas salaires et la pauvreté ayant nettement augmenté, il est devenu clair pour les nouveaux dirigeants sociaux-démocrates mais aussi pour Angela Merkel, qu’il fallait limiter cette dérive et emboîter le pas aux syndicats », confiait une
proche de la Ministre du travail à Mediapart en décembre 2015. « En 2005 encore, ceux-ci refusaient la création d’un salaire minimum pour préserver leur monopole de négociation salariale. Mais devant l’importance de la dérive, ils ont changé leurs positions et ont commencé à demander un SMIC à 8,5 euros de l’heure. »
Accords conclus récemment :
La future loi instaure des droits :
Note d’information Allemagne Joëlle S. Bambi & Wolf Jacklein 27 mai 2016