samedi 3 avril 2021
Sophie Béroud est bien connue des militants CGT. Son expertise est régulièrement sollicitée pour des colloques confédéraux comme pour ceux des Instituts d’Histoire Sociale. Docteur en science politique, elle s’est spécialisée sur l’étude sociologique du syndicalisme et des mouvements sociaux. Elle publie* avec Martin Thibault un petit livre très dense et passionnant qui revient sur 30 ans d’histoire sociale et syndicale, Gilets jaunes inclus, à travers l’histoire des premiers syndicats SUD jusqu’à la création de Solidaires.
Dans une première partie historique qui commence nécessairement en 1968, elle explique comment la CGT va se priver d’être irriguée, au risque d’être bousculée, par la vague de jeunes militants gagnés aux différentes organisations d’extrême-gauche. Cette génération finira fortement impliquée dans la « gauche CFDT » qui deviendra rapidement « l’opposition CFDT » avant d’être exclue et de fonder les premier Sud. Elle ne précise pas, et cela mériterait pourtant d’être creusé, que le projet de création de Sud-PTT, débattu au comité central de la LCR, est très majoritairement rejeté, condamnant le principe de syndicats « rouge » et la création d’une division syndicale supplémentaire.
La deuxième étape qui passe d’abord par le « Groupe des 10 » que les premiers Sud fondent avec de vieux syndicats autonomes, non confédérés, dont le SNUI, très puissant au ministère des Finances, aboutira à la création de Solidaires. Les obstacles posés à cette progression lente mais constante par les patrons, les gouvernements et les anciennes confédérations sont rapidement mais clairement évoquées.
La partie qui discute les contradictions posées par des valeurs syndicales radicales et « basistes » avec l’extension du recrutement et la tension née de l’accès à la représentativité et l’institutionnalisation est également remarquable. On en tire sans difficulté l’idée que Solidaires, en devenant « normale » rencontre les mêmes questions qui coincent dans la CGT. Et que si la question d’une réunification du syndicalisme de classe ne se pose pas aujourd’hui (c’est toujours plus facile de scissionner...) on voit bien que le mélange des deux cultures syndicales seraient un plus bénéfique aux deux organisations.
Dans une dernière partie, plus sociologique, elle raconte, pour avoir enquêté sur le temps long, l’odyssée d’un groupe de cheminots militants à Sud-Rail. C’est passionnément humain, y compris pour celui qui cache son Bac+5 pour se faire embaucher mais qui fuira rapidement le travail...
La conclusion autour des Gilets jaunes porte le seul conseil que le livre donne aux syndicalistes. Constatant que les « Rond-Points » occupés furent des espaces d’échange et de démocratie directe ressemblant aux Bourses du Travail dans leurs origines anarcho-syndicalistes, Sophie Béroud nous propose de relancer des lieux de proximités ouverts, revendicatifs, juridiques, solidaires et culturels en dépassant les clivages organisationnels tant il est vrai que la CGT peine à maintenir ses UL quand Solidaires peine à en ouvrir... Un travail commun interpro qui pourrait favoriser, qui sait, une réunification qui refermerait la plaie ouverte en Mai 68 ?
*En luttes ! Les possibles d’un syndicalisme de contestation par Sophie Béroud et Martin Thibault, Raison d’agir février 2021 ; 10 euros.