vendredi 27 mai 2022
Nous reproduisons ici un article qui vient de paraître dans le dernier n° de « La Révolution prolétarienne » et qui revient sur les origines de la crise dans la fédération CGT du Livre et du Papier.
Lorsque la Filpac est créée, en 1986, regroupant la fédération du papier-carton avec celle des industries graphiques, les deux branches industrielles sont déjà lourdement frappées par les fermetures d’entreprises, détruisant l’un après l’autre des bastions qui se défendront héroïquement mais sans la coordination suffisante pour stopper l’offensive destructrice. C’est dans ce contexte qui n’a fait que s’aggraver au fil des ans qu’il faut comprendre les violentes querelles qui ont minées les puissants syndicats parisiens (adossés à la presse quotidienne nationale) et la fédération. Jamais la crise n’aura été aussi violente que ces dernières années, aboutissant à l’explosion du 9° congrès, en avril, dès son ouverture !
Fil et Pac
Certes les cultures syndicales étaient bien différentes même si la force de la CGT était remarquable dans les deux branches. Au delà de l’image « gros bras du Livre » (au demeurant une réalité utilisée sans réserve au profit de la CGT comme du PCF), la Fédération du Livre restait traversée profondément par des traditions politico-syndicales plurielles. Pour une raison simple : la majorité des tenants de la « tendance FO » en 1947 avaient refusé la scission. A la Chambre typographique parisienne la majorité était plutôt socialisante, plutôt anarchisante et/ou trotskisante au Syndicat des Correcteurs. Le PCF étant en revanche assez hégémonique au Syndicat général du Livre sur l’Ile de France. Si les militants communistes étaient majoritaires en province dans le secteur du Labeur (impression hors presse) les réformistes étaient puissants en presse quotidienne régionale.
Une fédération réformiste assumée
Il est d’ailleurs permis de penser que certains avaient poussé à la fusion avec le Papier-Carton pour affermir une majorité « PC » dans cette vieille Fédération Française des Travailleurs du Livre (FFTL) historiquement pilier du réformisme revendiqué dans la CGT. D’ailleurs en Europe le papier-carton est plus généralement rattaché aux industries chimiques. Mais c’est aussi l’engagement sans réserve du Livre dans la lutte pour « sauver » la Papeterie Chapelle Darblay qui avait facilité cette issue. Michel Muller en sera un dirigeant marquant. Élu au bureau de la FFTL en 1979, il devint membre de son secrétariat en 1983. Puis il resta 20 ans secrétaire général de la Filpac de1990 à 2010. Indéniablement brillant, Muller porta une ligne « d’accompagnement » (en clair de recul …) social face à la crise de la presse quotidienne, heurtant de plein fouet les syndicats parisiens accrochés à leurs acquis. Dans le même temps long, il joua un jeu pervers en opposant méthodiquement ses poulains successifs : classique diviser pour mieux régner.
Délocalisation, désindustrialisation, modernisation
Ce triptyque patronal sera dévastateur. Insistons sur les modernisations qui vont venir bouleverser les métiers traditionnels, dans le pré-presse particulièrement mais aussi dans les imprimeries mettant en concurrence les anciens métiers, les anciens fonctionnements et les anciens privilèges bureaucratiques propres à chaque catégories professionnelle. Vous rajoutez les batailles d’égo dans la marmite et vous obtenez trois décennies de déchirements, d’alliances improbables vite retournées, de scissions. Sans oublier le rôle du secteur « entreprise » du PCF qui pesait lui aussi sur le choix des principaux responsables. Néanmoins et vaille que vaille la fédération vivait. Mieux, après l’élection comme secrétaire général Filpac de Marc Peyrade, qui avait transformé la Chambre typo en Info’com, la volonté des uns et des autres de redonner un élan à une vie fédérale plus rassemblée était manifeste. Mais son décès brutal en 2016 a remis en cause les progrès réalisés.
Un congrès de rupture
La nouvelle direction fédérale « provisoire » fut dans l’urgence offerte à un militant du papier-carton proche de la retraite. Une alternance bienvenue en soi qui permettait d’éviter un affrontement au sein du secteur graphique. Certes la période Covid n’aura pas favorisé le travail collectif mais le secrétaire général, Patrick Bauret, s’est rapidement mis-à-dos nombre de responsables et de syndicats, aussi bien en presse qu’en papier-carton. Ainsi lors du 52° congrès, il décide sans concertation avec la délégation Filpac de voter contre Martinez et la nouvelle direction confédérale. Autre exemple frappant : 4 des 6 secrétaires de la Filpac ont démissionné au cours de leur mandat ! En distribuant début mai dans l’immeuble confédéral un journal de 12 pages, les syndicats parisiens SGLCE et SIPC, qui marquent au passage leur rapprochement après de dures décennies, multiplient les reproches précis à une direction fédérale qui a donc exclu des instances fédérales dès l’ouverture du congrès 4 000 syndiqués sur les 14 000 revendiqués par la fédération !
Quelles perspectives ?
Ces deux syndicats qui couvrent aussi bien des entreprises de presse que de Labeur ainsi que la distribution de la presse pèsent d’un poids incontournable, représentatifs à 100 % dans les imprimeries de presse quotidienne nationale. Ils sont devant un choix qui pourrait se résumer ainsi : Retrouver leur place légitime dans la fédération, fonder une nouvelle fédération ou bien rejoindre une autre fédération. Mais toujours dans la CGT sans aucune équivoque.