Communistes libertaires de la CGT

Grèves corporatistes et grève générale : une dynamique

vendredi 30 septembre 2016

Nous reproduisons ci-dessous un article intéressant sur la dialectique entre « petites grèves locales » et « grève générale » paru dans le blog du groupe Salvador Segui de la Fédération Anarchiste :

Nos petites grèves feront la grande

Le 15 avril 1908, Victor Griffuelhes, syndicaliste révolutionnaire français, alors secrétaire général de la CGT, écrivait dans L’Action directe : « La véritable action révolutionnaire est celle qui, pratiquée chaque jour, accroît et augmente la valeur révolutionnaire du prolétariat. La grève, maniée par une classe ouvrière rendue forte par ses luttes, grâce à des syndicats puissants et agissants, peut davantage que tout le contenu des bibliothèques ; elle éduque, elle aguerrit, elle entraîne et elle crée. » Avec ces quelques mots, le leadeur de la CGT répondaient à ceux qui, au nom de l’idéal révolutionnaire, avaient critiqué, ou critiquaient encore, les grèves dites partielles, celles qui intervenaient dans une entreprise ou dans une branche professionnelle sur des bases corporatives (augmentation des salaires, obtention d’un contrat collectif, etc.). Pour Victor Griffuelhes – et, avec lui, l’anarchiste Émile Pouget, notamment –, la grève partielle permettait aux travailleuses et aux travailleurs de s’exercer régulièrement à l’arrêt de travail, et, ainsi, de maintenir le rapport de force social et de renforcer l’organisation syndicale. Bien que reposant sur des revendications réformistes et corporatives (lesquelles, bien que non révolutionnaires, ne sont jamais négligeables), la grève partielle était vécue comme l’école de la grève générale, un espace de formation militante, d’éducation, d’entraînement (Émile Pouget parlera même de « gymnastique révolutionnaire »), au sein duquel on était à même de construire la grande grève générale expropriatrice et, allant, l’émancipation intégrale du prolétariat.

Aujourd’hui, en 2016, quelques mois après un mouvement social conséquent mais vaincu, le débat est toujours d’actualité. S’il est évident que seules des dynamiques interprofessionnelles pourront un jour menacer dans son ensemble l’édifice capitaliste, force est de constater que, une fois encore, elles ont échoué à ébranler la forteresse et à obtenir le simple retrait d’un projet de loi pourtant largement décrié par la population. Les unions locales et départementales de syndicats n’ont pas su construire le rapport de force suffisant, pas plus que les « assemblées générales interprofessionnelles et interluttes » – souvent issues de militants non syndicaux et qu’on a vu se multiplier sans résultats concrets. C’est à se demander si l’interpro, tant vanté, tant recherché – à juste titre, d’ailleurs –, n’est pas devenu un vœu pieux, un concept toujours pertinent mais désormais incapable de s’incarner.

Quelques constats

Si le mouvement social contre le projet de loi Travail a largement été porté par une intersyndicale solide et soudée, solidaire y compris d’autres formes de mobilisation, on ne peut que regretter que les dynamiques interprofessionnelles soient restées faibles, timides, incapables de vraiment dépasser le stade des cortèges unitaires. Les grands mouvements de grève du rail, des routiers, du spectacle et des raffineries, qui ont un temps fait trembler le pouvoir, n’ont pas bénéficié d’un soutien autre que financier et moral, là où il aurait été nécessaire que les grèves s’étendent à d’autres secteurs. Le rail, les routiers et les intermittents du spectacle ont construit leur mouvement de grève et de blocages autour de revendications corporatives, qui ont plus ou moins été satisfaites (davantage pour les routiers que pour les cheminots et les intermittents) grâce au climat général de mobilisation contre le projet de loi Travail. Ici et là, on a beaucoup reproché aux travailleuses et travailleurs du rail, des routes et du spectacle d’avoir cesser grèves et blocages dès lors que des accords avaient été arrachés à l’État ou au patronat, mais pouvaient-ils faire autrement ? Car, la dynamique interprofessionnelle étant quasi inexistante, ils étaient seuls. Si d’autres secteurs étaient massivement rentrés en grève, la revendication du retrait du projet de loi Travail aurait pu être davantage dominante au sein des mobilisations de ces secteurs particuliers. Faute de généralisation de la grève, ils se sont concentrés sur leurs revendications corporatives et sont sortis partiellement vainqueurs de leurs mobilisations, là où les autres, nous autres, ont perdu sur tous les fronts.

Renforcer l’implantation syndicale

D’une certaine manière donc, les principaux responsables de la baisse d’intensité des quelques grandes mobilisations corporatives de ce printemps social 2016 sont à chercher, non pas au sein des syndicats du rail (excepté chez quelques bureaucrates peu enclins à un véritable bras de fer avec la direction), des routiers, du spectacle ou de la chimie, mais dans les autres… les nôtres, nous qui avons globalement échoué à faire rentrer nos boîtes, nos métiers, nos branches dans une grève dure et longue. Pourtant, les volontés étaient là. Les bases étaient mobilisées, et nombreux étaient ceux qui voulaient en découdre. Mais les bases, nos bases, étaient faibles, incapables de mobiliser massivement dans leurs terrains d’implantation. La plupart des grèves étaient des grèves d’élus syndicaux et d’encartés, les autres salariés se mobilisant peu ou pas du tout. Et, à mon sens, c’est là qu’on doit chercher l’origine de la faiblesse de la dynamique interprofessionnelle actuelle. Sans bases syndicales solides, l’interpro est voué à n’être qu’incantatoire. Et avant d’appeler à gorge déployée à l’unité interprofessionnelle, on devrait surtout s’échiner à poursuivre le travail d’implantation syndicale et de renforcement des bastions existants, histoire de donner à l’interprofessionnalisme qui vient une colonne vertébrale en mesure de le porter concrètement et de lui donner corps au-delà des tracts, des cortèges unitaires et des assemblées de principe… c’est-à-dire dans l’organisation d’un vaste mouvement de grève, de blocage et d’occupation des espaces publics et de travail.

Or, les bases syndicales se construisent et se renforcent dans la lutte. Et, à une époque où la conscience de classe s’est diluée dans le marais de l’individualisme et la quête du parvenir, cette lutte est d’abord corporative. C’est un fait : quand la culture syndicale est inexistante, on mobilise beaucoup plus facilement ses collègues autour d’une augmentation de salaire ou d’une amélioration des conditions de travail que contre un projet de loi dont on ne mesure pas dans l’immédiat les enjeux et les impacts. En parallèle de ces mobilisations à l’échelle de l’entreprise ou d’un groupe, les luttes autour des accords et des conventions de branche ont une importance toute particulière. D’abord parce que la conclusion de ces textes contractuels aide directement l’implantation syndicale et les luttes d’entreprise, ensuite parce que cette échelle de la lutte syndicale est un peu l’antichambre de l’interprofessionnalisme, puisqu’elle convoque déjà des salariés d’entreprises, de métiers et de catégories diverses.

Ce sont dans ces mobilisations aux revendications pas toujours très ambitieuses et jamais authentiquement révolutionnaires que peuvent se créer des liens entre salariés, liens desquels peut surgir un début de conscience de classe, du moins d’un constat de partager les mêmes intérêts face à l’employeur et ses relais. C’est en leur sein également que les salariés peuvent rencontrer, développer et enrichir une culture syndicale jusque-là inconnue et se former comme militants ou, au moins, comme travailleurs conscients de leurs droits. En cela, une augmentation de salaire, une baisse du temps de travail, la réintégration d’un collègue licencié sont autant de petites victoires qui, comme l’écrivait Émile Pouget en 1904, constituent « une diminution des privilèges capitalistes » tout en ouvrant « la voie à des revendications de plus grande amplitude ». En montrant que la lutte peut souvent payer, que le combat syndical peut être « autre chose qu’une défaite anticipée » (Kery James), qu’il est à même d’aboutir à des résultats concrets dont les bénéfices sont immédiats et tangibles, que l’on peut ne pas être seul face à la toute-puissance affichée de sa direction, les luttes syndicales corporatives cultivent l’antagonisme de classe et le désir de reprendre en mains un quotidien volé et aliéné. Par leurs conquêtes, elles maintiennent l’espoir, voire le font naître ou le renforcent, là où les mouvements sociaux interprofessionnels cultivent l’échec depuis quelques années.

Le développement et le renforcement de l’implantation syndicale dans les entreprises sont d’autant plus urgents aujourd’hui que le renversement de la hiérarchie des normes entériné par la loi Travail va pousser nombre d’employeurs à renégocier à l’échelle de leur entreprise tout ce qui, dans les accords de branche, ne leur convient pas. Si, face à eux, il n’y a que des salariés inorganisés et isolés, nul doute qu’ils en profiteront pour imposer des conditions de travail beaucoup plus dures, flexibles et précaires. Dans les prochaines années, l’enjeu va donc être essentiel et, si le syndicalisme ne parvient pas à renforcer sa présence – et ce, sur des bases de lutte de classe, et non d’accompagnement tous azimuts des volontés patronales –, il est fort probable qu’il soit vite neutralisé.

Éviter le piège du corporatisme

Pour autant, il est tout aussi évident que la question sociale ne saurait trouver de réponse définitive et sérieuse dans les luttes syndicales corporatives, les espoirs d’une émancipation intégrale ne résidant que dans l’abolition des classes sociales par l’expropriation du capital et la destruction de l’État. Et, en se concentrant sur les luttes corporatives, le risque peut être grand de finir par sombrer dans le corporatisme exclusif, traduction syndicale de l’individualisme sociétal qui voudrait tout sacrifier à la satisfaction des intérêts d’un groupe de travailleurs, y compris ceux des autres travailleurs (par exemple quand, dans un quotidien national, un syndicat de journalistes dénonce les salaires prétendus trop élevés des ouvriers du Livre…). Le corporatisme nie la conscience de classe (qu’il remplace par la conscience du métier ou de l’entreprise) et, allant, condamne toute perspective de renversement radical de la société capitaliste. Il se contente de travailler à aménager une place un peu plus douillette aux travailleuses et travailleurs qu’il dit représenter spécifiquement, souvent au détriment des autres, qu’il a peu de scrupules à écraser.

Pour éviter ce piège, les syndicats se sont depuis longtemps constitués en unions, fédérations et confédérations et, surtout, se sont dotés de structures interprofessionnelles à base géographique – unions locales, départementales et régionales – qui favorisent la rencontre et les échanges entre travailleuses et travailleurs d’entreprises, de métiers et de branches industrielles différents – ce qui, à mon sens, en fait les principaux creusets de la révolution sociale. Certaines de ces structures sont aujourd’hui très actives et dynamiques, quand d’autres sommeillent dans des locaux désertés : dans les deux cas, il est important de les investir et de les renforcer, car c’est en leur sein – surtout dans les unions locales – que peuvent se construire les dynamiques interprofessionnelles les plus sérieuses et les plus saines, car élaborées à la base. Les militants syndicaux doivent faire le choix de maintenir des relations étroites, faites d’informations et d’investissement militant, avec les unions locales et départementales, pour y bâtir des solidarités agissantes au quotidien, aussi bien dans le cadre de luttes corporatives que de mouvements sociaux nationaux. Cet interprofessionnalisme-là – syndical, donc – me semble être le plus conséquent, le plus à même de porter des fruits, car produit à partir de structures de lutte actives qui, outre leur capacité militante, constituent autant de relais directs, à la base, des initiatives prises dans le cadre d’une dynamique interprofessionnelle. L’interprofessionnalisme est avant tout une dynamique de réseau, et, en cela, c’est la puissance et la vitalité de ses composantes – les syndicats et sections syndicales – qui détermineront sa capacité à s’incarner dans les luttes. Et c’est dans les combats corporatifs que se forgent et se travaillent cette puissance et cette vitalité.

Guillaume Goutte
Groupe anarchiste Salvador-Seguí
Syndicat des correcteurs CGT

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