dimanche 3 mai 2020
Le patriotisme économique est un slogan revendiqué par Le Pen comme par la gauche souverainiste et il est repris de temps en temps par Macron et ses ministres. Face au chômage de masse et structurel que nous connaissons, il parait une réponse simple et de bon sens. Le « patriotisme économique » qui prétend privilégier les entreprises françaises et leurs salariés sous-tend donc l’idée d’une convergence d’intérêts entre salariés et patrons.
Ce n’est pas entièrement faux : si les travailleurs des puissances coloniales ont pu arracher par la lutte des conditions sociales améliorées c’est aussi parce leurs patrons s’étaient grassement enrichis dans le pillage des colonies. Remarquons néanmoins que le concept n’est guère porteur d’émancipation des « prolétaires du monde entier » ; et qu’il porte une dangereuse confusion idéologique : mon patron serait moins mon ennemi que mon complice dans la spoliation des peuples colonisés.
Si le bon vieux temps des colonies est terminé, la mondialisation capitaliste ultra-libérale et son cortège de délocalisations faciles des productions de la marchandise permet la mise en concurrence entre eux des salariés de tous les pays. Et contre toute idée simpliste, les coûts de production ne sont pas les seuls motifs à l’investissement de capitaux hors de leurs frontières d’origines. Ainsi 2 millions de salariés français travaillent pour un patron « étranger ». Et parfois ils y trouvent de meilleures conditions sociales ! L’idée qu’il faut éventuellement sacrifier les intérêts des salariés des autres pays pour protéger les nôtres est dès lors une infamie politique mais aussi une impasse pratique.
Alors que nos concitoyens sont choqués en découvrant les conséquences de la dépendance industrielle de notre pays pour des produits devenus précieux (masques, tests etc...) Macron a affiché non seulement une possible nationalisation temporaire de certaines entreprises « stratégiques » mais aussi d’éventuelles relocalisations de productions. Qu’en est-il dans les faits ?
Nationalisations : les cadeaux distribués par milliards pour soutenir les fleurons du CAC 40 n’ont occasionné aucune montée de l’Etat au capital des sociétés concernées. Pourtant avec l’effondrement du cours de leurs actions, l’occasion était jouable de rachats massifs avec un retour d’un Etat planificateur. Quand aux relocalisations de production, rien de concret n’apparait et les économistes bourgeois dissertent sur un concept différent : le rapprochement des délocalisations. En clair, s’il faut partir de pays à bas coût, c’est pour installer les productions dans des pays moins exigeant politiquement (que la Chine dont les ambitions internationales peuvent inquiéter) et dont les coûts peuvent même être inférieurs (et les gouvernements plus obéissants) : l’Est de l’Europe, le Sud de la Méditerranée. Mais pas sur le territoire national tant il est vrai que la loi du marché... fait toujours sa loi et que les coûts de production fixent la boussole !
Contrôle des investissements étrangers dans les entreprises « stratégiques » : L’Etat encadre et peut stopper les investisseurs non-européens (fonds privés ou fonds souverains*) qui veulent investir dans une entreprise française** au delà de 25% de prise de participation. La liste des secteurs « sous contrôle » comprend : la défense, l’énergie, l’eau, l’espace, les télécoms, les transports, la santé publique, l’alimentation et les médias. Ici on trouve « enfin » des actes de patriotisme ! Non seulement Macron fait baisser la barre du contrôle à une prise de participation de 10% du capital, mais il élargit notoirement la liste des secteurs concernés par ce contrôle, dont la biotechnologie et les labos de recherche sur le Covid-19...
Conclusion simple : Il n’ y a de patriotisme économique qu’au profit des capitalistes français qui risquent d’être victimes d’OPA hostiles en période d’effondrement de la valeur des actions de leur entreprise, voire qui seraient tenter de vendre eux-mêmes la corde pour se faire pendre en échangeant de la dette contre des actions de leur propre société. Le reste n’est que discours démagogique et impasse souverainiste.
Remettons plutôt à jour l’idée ancienne d’une socialisation des moyens de production par expropriation des patrons et la mise en place d’une autonomie locale de production, autogestionnaire, dans le cadre d’un fédéralisme mettant fin à la concurrence entre travailleurs.
*Les fonds souverains sont des fonds spéculatifs détenus par un Etat dont l’utilité est à la fois économique et géo-stratégique.
**Est française une multinationale au capital côté à la bourse de Paris. Ses salariés, eux, sont planétaires.