dimanche 7 janvier 2018
Dans la CGIL qui fut longtemps un syndicat « frère » de la CGT, dirigé par le PCI, des militants s’organisent pour faire revenir la confédération sur des bases de lutte de classe. Nous avons trouvé sur le site « A l’encontre » une traduction en français d’un article qui mérite de circuler :
Le site du réseau italien dont les principaux animateurs sont membres de la Fédération de la Métallurgie : https://sindacatounaltracosa.org/
Par Eliana Como
et Dario Lopreno
Les organisations néofascistes ont attaqué la Confédération générale italienne du travail (CGIL) [1]. La riposte doit être à la hauteur. Des choses graves se passent. C’est le cas du manifeste de Forza Nuova [2], qui attaque la CGIL en annonçant la fondation du nouveau syndicat des Italiens [3]. Une très sale affaire. Je préfère ne pas reproduire le manifeste en question à la suite de cet article ; cela m’est trop pénible de le voir associé à ces lignes [voir ci-dessous l’article de Dario Lopreno].
La CGIL a bien des défauts : bureaucratique, réformiste – pour utiliser un euphémisme –, nullement autonome des partis politiques, aucunement conflictuelle. Dans les années 1990 elle a capitulé en signant tous les accords de concertation qu’il était possible de signer. En 2011 elle n’a rien fait contre la Loi Fornero [une attaque, sous la dénomination de réforme, du système des retraites]. En 2014 elle n’a que simulé une opposition au Jobs act [une très dure révision de la législation sur le travail]. Et même actuellement, après les manifestations du 2 décembre [sur les pensions de retraite insuffisantes et la suppression de nombreuses normes protectrices des travailleurs, avec le Jobs act], les syndicats se taisent.
Je pourrais aligner des pages sur les manquements à la politique syndicale de la part de la CGIL, organisation à laquelle j’appartiens malgré tout. Certains partageront mon opinion, d’autres pas ; aujourd’hui je ne me prononce pas toutefois sur mes critiques à ce syndicat ni sur les critiques contre mes positions, ni sur les critiques envers les syndicats indépendants (de base). La question est autre.
Le fascisme n’est pas une opinion ; c’est un crime. Il en va de même avec ce Manifeste, produit par une organisation qui, si la loi était appliquée, ne devrait même pas exister et qui fait l’apologie explicite du racisme. Une organisation qui laisse apparaître une menace à peine voilée, telle que nous l’avons vécue ces derniers jours : l’agression au secrétariat de la FIOM [4] de Forlì [le chef-lieu de la Romagne], les croix gammées sur le siège de la CGIL de La Spezia [Ligurie] et le drapeau de la CGIL tailladé au siège d’Arezzo [Toscane].
J’ignore si l’histoire se répète. Mais je sais que la montée du fascisme alla de pair avec les attaques aux Chambres du travail de la CGdL de l’époque [la Confédération générale du travail], dont les directions avaient bien des défauts et dont le plus grave fut de ne pas s’être opposées à temps au fascisme et d’avoir assisté passivement à la conclusion du Pacte de Palais Vidoni en 1925, par lequel la Confindustria [la Confédération de l’industrie, les syndicats patronaux] et le syndicat fasciste [la Confédération des corporations fascistes] se reconnaissaient réciproquement comme les seuls représentants du capital et du travail. Sans parler de la décision de ses dirigeants, D’Aragona e Rigola, qui ont prononcé l’auto-dissolution de la Confédération syndicale [début 1927, alors que le fascisme entre totalement en force].
Si jamais l’histoire se répète, la seconde fois il sied au moins de ne pas répéter les erreurs de la première. La CGIL, renée en 1944 des cendres de la CGdL, est restée malheureusement tout aussi réformiste ; mais elle a inscrit l’antifascisme dans son ADN, dans la mesure où elle est issue de la lutte antifasciste. D’ailleurs les Statuts explicitent l’incompatibilité de l’adhésion à la Confédération avec l’appartenance à des « organisations à caractère fasciste ou raciste » [5].
C’est pourquoi, face aux réminiscences de cette triste époque historique, la CGIL doit être au premier rang de la lutte. Elle doit revendiquer, comme l’a annoncé Susanna Camusso [la secrétaire générale], en commun avec l’ANPI [l’Association nationale des résistants d’Italie] et les organisations de masse, la mise à ban des organisations néofascistes.
C’est un pas important et nécessaire. Qui doit être également suivi de la dénonciation, aux autorités qui délivrent les autorisations, des manifestations et des piquets de ces organisations. Avec, d’une part, une attention toute particulière, aux médias, afin de dénoncer ceux qui leur concèdent un espace inapproprié, faisant le récit orienté de l’« engagement social » de ces organisations politiques dans certaines périphéries, les remettant ainsi en selle dans l’imaginaire collectif. D’autre part, et à plus forte raison, une attention encore plus soutenue doit être portée aux forces de l’ordre, parmi lesquelles on tolère voire on alimente la culture néofasciste. Et enfin, il faut pratiquer la dénonciation claire aux institutions et à la justice, pour que soit assumée la responsabilité du climat ainsi créé dans le pays. Le ministre Minniti [ministre de l’Intérieur, c’est-à-dire des forces dites de l’ordre], responsable d’une gestion autoritaire et répressive de l’ordre public et de la question des migrants, doit donner sa démission ne serait-ce que pour avoir plaisanté au sujet du bureau de Mussolini, sur lequel il serait quotidiennement assis (il a réellement dit cela, même si cela a échappé à bon nombre de personnes, lors de son allocution à Atreju, la kermesse de Fratelli d’Italia [6]).
La CGIL doit être un avant-poste des droits démocratiques dans ce pays, en collaboration avec les associations et mouvements antifascistes, parce que le principal objectif des fascistes a toujours été le mouvement des travailleurs. La CGIL doit mobiliser le monde du travail sur les places, les écoles, les lieux de travail. Plus encore, elle doit veiller sur nos espaces de vie ; elle doit se tenir au premier rang et répondre aux provocations, en sorte que les fascistes ne se sentent pas en droit de pénétrer en nos sièges. S’ils lèvent la tête, c’est uniquement parce que cela leur est rendu possible par les institutions, par les forces de l’ordre, par [certains] médias également ; et cela nous devons le leur interdire. Enfin, last but not least, la CGIL doit se réveiller et ne pas laisser d’autres forces s’approprier la défense des retraites, des salaires et des droits démocratiques.
Pour ce faire, la Confédération doit avoir le courage d’ouvrir, même en son sein, une grande campagne culturelle, destinée à affirmer non seulement notre être orgueilleusement antifasciste mais aussi notre nature, tout aussi orgueilleusement antiraciste. Jusque et y compris sur les lieux de travail et sur les lieux où la narration raciste sur les droits des travailleurs italiens, qui seraient remis en cause par les travailleurs étrangers, est devenue sens commun.
Prendre la carte de membre de la CGIL devrait redevenir une valeur de reconnaissance. Trop nombreux sont les membres qui ont adhéré au syndicat uniquement pour les services divers et les prestations de protection juridique ou individuelle. C’est là la principale raison pour laquelle, au-delà des critiques que je continuerai d’adresser au groupe dirigeant de la CGIL, je souhaite être en possession d’une carte d’adhérent qui, même graphiquement, exprime sans détours et à tous ses membres que le plus grand syndicat italien est antifasciste et antiraciste. Peut-être cela nous fera perdre quelques inscrits ; mais l’enjeu en vaut la chandelle. (Article d’Eliana Como ; traduction Dario Lopreno ; article paru en italien le 23 décembre 2017)
[1] La Confédération générale italienne du travail (CGIL) est le plus grand syndicat de salariés d’Italie, dont les scissions de 1948 et de 1950 ont donné naissance aux deux autres grands syndicats de la Péninsule, la Confédération italienne des syndicats de travailleurs (Confederazione italiana sindacati lavoratori, CISL) et l’Union italienne du travail (Unione italiana del lavoro, UIL). [ndt]
[2] Cf. l’article ci-dessous. [ndt]
[3] Il s’agit du Syndicat national des travailleurs italiens (Sindacato Nazionale lavoratori italiani, SINLAI). [ndt]
[4] La FIOM (Federazione nazionale impiegati e operai metallurgici, Fédération nationale des employés et ouvriers métallurgistes) est le syndicat du secteur métallurgie et machines de la CGIL. [ndt]
[5] Cf. Lo Statuto della CGIL (approvato al XVI congresso – Rimini 5-8 maggio 2010), sur http://old.cgil.it/CGIL/Statuto.pdf . [ndt]
[6] Le parti politique de droite – dite dure – Fratelli d’Italia (Frères d’Italie) est issu d’Alleanza Nazionale, elle-même étant l’expression honorabilisée, parlementarisée et rendue démocratie-compatible de l’ex-parti néofasciste Mouvement social italien (MSI). [ndt]