mercredi 31 août 2016
Georges SEGUY est mort cet été.
La mort de l’ancien secrétaire général de la CGT provoque une émotion importante parmi les générations militantes qui ont vécu la période, longue, où il fut tout à la fois un dirigeant du PCF et de la CGT.
L’émotion est bien normale car Georges SEGUY fut incontestablement un militant courageux, engagé dès l’adolescence dans la Résistance, et il se trouva porté à la tête de la CGT dans la période où la classe ouvrière était la plus puissante, nourrissant une CGT dont la combativité et les succès était portés par les formidables développements économiques propres à la période des Trentes Glorieuses. A lui seul il symbolise un passé de luttes antinazies, de conquêtes sociales et l’espoir que le couple CGT/PCF, soudé autour du Programme Commun de Gouvernement, ouvrira la voie à un socialisme démocratique en France.
C’est pourquoi au lendemain de sa disparition il ne s’agit pas d’attaquer l’homme ni même le militant mais bien de revenir sur les choix politiques que la direction du PCF (Séguy était membre du Bureau Politique du PC) imposait à la CGT dans un fonctionnement qui à l’époque paraissait normal à la majorité des militants CGT.
L’épisode toujours polémique de son discours hué à l’AG de l’usine Billancourt en 1968 doit être dépassé. Car en vérité personne ne pourra jamais certifier combien d’ouvriers ont sifflé les compromis proposés par le patronat jugés insuffisants et combien sifflaient la direction de la CGT : soit pour des raisons politiques par anti-stalinisme global ; soit parce qu’ils contestaient la ligne confédérale qui refusait d’aller au-delà d’une grève sociale (vers une grève politique) ; soit juste parce qu’ils craignaient que la CGT ne signe ce premier compromis. Dans tous les cas le message était entendu, la grève et les occpuations étaient maintenues et un second round de négociation devait aboutir à des avancées sociales et des libertés syndicales élargies.
A l’occasion de son décès c’est donc les décisions collectives prises par la direction du PCF qui doivent être revisitées. Contesté sur sa gauche depuis des mois par une jeunesse qualifiée de « gauchiste », le PCF décide que la grève ouvrière et les occupations qui débutent doivent être l’occasion de reprendre la main en auto-limitant d’entrée de jeu la grève générale à des revendications « quantitatives » et en combattant férocement toute perspective révolutionnaire. Les « gauchistes » sont alors qualifiés d’aventuriers qui préparent la classe ouvrière à une nouvelle Commune de Paris, un nouveau « Solo funèbre ». Et si les « gauchistes » mènent cette offensive c’est parce qu’ils sont des petits-bourgeois manipulés par les flics et payés par la CIA pour briser la puissance, bien réelle au demeurant, du couple PCF/CGT. Le débat pour savoir si la situation était, ou pas, pré-révolutionaire est devenu un débat d’historiens. Et personne ne peut dire ce qui se serait produit si le PCF et la CGT, au lieu de combattre l’idée avait poussé dans ce sens. Mais ce qui est sûr c’est que malgré un renforcement considérable des adhésions à la CGT après 68, la chasse aux « gauchistes », jusque dans les rangs du PCF, va très durablement priver la CGT de militants révolutionnaires qui s’investiront ailleurs, dans la CFDT en particulier avant de s’en faire massivement exclure dans les années 80. Et que cette génération va faire défaut cruellement dans la CGT quand le PCF entre au gouvernement en 81 et que la CGT met toutes ses forces à freiner la conflictualité sociale.
En parralèle à cette chasse aux « gauchistes », le PCF mène une offensive depuis le début des années 60 pour l’union de toute la gauche. Dans la CGT, celà se traduit par la promotion de militants socialistes à tous les niveaux de directions et bien au delà de la réalité de leur reprsentativité afin de démontrer la bonne volonté du PCF... Séguy mettra en oeuvre cette orientation (avec la promotion en parralèle des militants catho de gauche) qui donne de lui l’image d’un homme d’ouverture. Mais en vrai, les postes de permanents syndicaux, et en particuliers les fonctions de secrétaires généraux des UL et UD, des fédés et des gros syndicats sont discutés dans les instances du PCF.
Ainsi la vague de nostalgie déclenchée à l’annonce du décès de Georges Séguy ne doit pas masquer que les choix, certes collectifs, de ces années-là, sont pour beaucoup dans les errements politiques qui font de la CGT depuis les années 90 un bateau sans boussole claire.
Il aura fallu attendre la mort d’Henri Krasucki pour qu’une biographie par ailleurs très amicale révèle l’immense haine que Krasucki éprouvait à l’encontre de Georges Marchais. Comme Krasucki, Seguy est de ces militants qui ont cru aux méthodes et théories héritées du stalinisme. Sa fibre unitaire, un temps, l’avait rapproché des Refondateurs du PC. Une biographie un jour nous en dira sans doute plus sur ce que pensait vraiment ce militant convaincu que la discipline était la première des vertus.