mercredi 20 novembre 2019
Depuis six mois la population de Hong Kong est en insurrection. C’est une loi permettant l’extradition vers la Chine des « délinquants » qui fut le moteur du mouvement. Cette loi fut rejetée par tous les secteurs de la société : les capitalistes historiques de la Cité, les bourgeois « rouges » du continent qui « sécurisent » à Hong Kong leurs fortunes, et les militants qui comprenaient comment cette loi leur serait appliquée dans le cadre de la répression de toute parole hostile au PCC. D’une manière plus générale, cette loi marquait un pas supplémentaire vers l’intégration pure et simple de la ville au régime chinois. Dès l’été la CGT a apporté son soutien au mouvement populaire. Jean-Pierre Page*, référent politique de l’aile néo-stalinienne dans la CGT, dénonçait aussitôt une nouvelle trahison confédérale. La CGT étant supposée ralliée à l’impérialisme du fait de son adhésion à la Confédération Syndicale Internationale (CSI). Quelques semaines plus tard, alors que la loi est retirée et que le mouvement se poursuit malgré une répression policière féroce, il n’est pas inutile de faire le point sur cette polémique.
Les deux communiqués de la CGT exprimaient un soutien total au mouvement populaire et massif qui secouait Hong Kong, ancienne colonie britanique rétrocédée à la Chine. Le système politique de Hong Kong est fondé sur le concept « un pays, deux systèmes » qui devait garantir les droits économiques, sociaux et politiques hérités de la colonisation (capitalistes donc) face aux normes du capitalisme d’Etat chinois. Pour autant le gouvernement de Hong Kong est façonné sans élection « libres » par la direction du PC chinois dans un compromis instable avec les grandes familles capitalistes hongkongaises. C’est ce compromis que la direction du PC chinois tente de remetrre en cause pour « absorber » définitivement ce petit territoire stratégique pour les flux capitalistiques entre la Chine et le reste du monde. Et c’est au nom de la lutte contre la corruption qu’il a tenté d’imposer la loi sur l’extradition vers la Chine.
Jean-Pierre Page a beau jeu de comparer les réticences dans la CGT vis-à-vis des Gilets jaunes et le soutien aux manifestants là-bas. Suivons le sur ce terrain. Et dans le contexte local si complexe, il est possible en effet de reprocher aux communiqués de la confédération de se limiter à un soutien sans critique de la plate-forme revendicative en 5 points qui fédère le mouvement insurrectionnel. En effet la plateforme (à laquelle se rattache le syndicat « libre », non inféodé au PCC) qui revendique le suffrage universel ne comporte aucune renvendication sociale. Elle réclame le retrait de loi « extradition » et l’arrêt de la répression des manifestants. Cette plate-forme se limite donc à revendiquer des droits bourgeois-démocratiques et celà aurait pu être souligné dans les communiqués.
Mais Jean-Pierre Page va beaucoup plus loin. Il dénonce les manifestants comme de simples valets des capitalistes locaux et de l’impérialisme américain, manipulés par la CIA. Une vision complotiste qui rappelle la belle époque où PCF et CGT dénonçaient « les gauchistes » qui étaient déjà des marionnettes de la CIA... Il en veut pour preuve le soutien affiché de certains capitalistes et de cadres supérieurs aux manifestants. Sa position est simple au fond : les capitalistes de Hong Kong refusent l’intégration totale à la Chine socialiste et empêchent ainsi leurs travailleurs de bénéficier des bienfaits de la vie socialiste !
Sauf que depuis son intervention publiée au mois d’août, les évènements contredisent la plupart de ses arguments. La loi sur l’extradition est retirée sous la pression majoritaire de rue, les « corrompus » peuvent donc dormir tranquilles et pourtant les émeutes n’ont rien perdu de leur intensité malgré une répression chaque semaine plus violente. Quant aux capitalistes, y compris ceux des multinationales occidentales, ils ont changé d’attitude, allant jusqu’à licencier des grévistes pour donner des gages aux dirigeants du PCC et ne pas risquer de perdre leurs précieux marchés.
Est-il donc si compliqué de comprendre que la masse de la population hongkongaise, qui connait mieux que personne la dictature 3.0 imposée par le PCC, ne veut tout simplement pas y être soumise ? Serait-il devenu anti-marxiste de considérer que la démocratie bourgeoise et le suffrage universel sont un moindre mal aux yeux des peuples face à une dictature ? Serait-il si surprenant que la question nationale, également évoquée par Page est plus complexe qu’un simple rappel aux frontières « historiques » ? Et que sur toute la planète la colonisation a créé des sociétés durablement séparées dont les populations s’accomodent fort bien et refusent tout retour aux frontières « historiques » : de Taïwan aux Malouines en passant par Gibraltar !
Page raisonne en fait comme au temps où certains pensaient qu’il fallait défendre inconditionnellement les pays du « camp » socialiste contre ceux du « camp » capitaliste. L’erreur déjà à l’époque était de s’épargner une réflexion matérialiste sur le camp supposé socialiste. Erreur que nous payons encore aujourd’hui du discrédit universel de l’idée même de communisme aux yeux des masses. Mais au moins il existait réellement un camp, d’où les capitalistes étaient exclus, et dont on pouvait espérer qu’il évolue dans le sens d’une démocratie réelle. Mais que peut-on espérer des dictateurs capitalistes chinois ? Comment pourrions nous, même de façon critique, nous retrouver dans leur camp ? La réponse de Page est simple et relève encore une fois d’une vision complotiste de l’histoire : les capitalistes chinois méritent notre bienveillance parce qu’ils sont en concurrence avec nos capitalistes occidentaux ! L’idée typiquement stalinienne et maoïste qui voudrait qu’il faut se faire ami avec l’ennemi de mon ennemi n’en fini de produire son venin.
*Nous avons déjà polémiqué avec Jean-Pierre Page à l’occasion du 52° Congrès confédéral :
http://www.communisteslibertairescg...
Les trois articles sont ici :
https://www.cgt.fr/comm-de-presse/h...