mercredi 8 mai 2019
Jean-Pierre Page est un militant bien connu, en particulier dans le Val de Marne et au secteur international de la CGT. Il a publié plusieurs livres et son dernier ouvrage aux éditions Delga* « CGT : Pour que les choses soient dites ! » est une contribution aux débats du 52° Congrès traitant tout particulièrement des questions internationales. Impossible de faire comme s’il n’existait pas ! Alors ouvrons le débat.
Commençons par dire que nous partageons beaucoup de critiques et remarques qui relèvent et soulignent les erreurs, les errements de la confédération ces dernières décennies. Comme nous partageons, pour une bonne part, ses considérations sur la CES et la CSI. Ceci n’est pas une formule de politesse, ni une précaution oratoire mais oui nous avons en commun bien des critiques quand à l’affaiblissement des positions de classe de la CGT dans ses discours, ses orientations, ses pratiques ou encore les contenus de la formation syndicale. Et c’est parce que nous avons cela en partage que le livre mérite d’être questionné.
CGT et révolution
Une première remarque pour souligner que le camarade fait remonter le début du glissement au congrès de Grenoble en 1978 mais qu’il n’en explique pas les causes. Rien sur la façon dont la CGT a choisi de limiter Mai 68 aux seules revendications sociales en refusant de mettre en cause le pouvoir en place et toute idée révolutionnaire, alternative au capitalisme. Pourtant Séguy explique bien pourquoi ce choix : faute d’alternative électorale PCF/SFIO possible, il ferme la porte à la politisation de la grève générale. Autant dire que de notre point de vue la rupture avec un syndicalisme de classe, c’est à dire portant l’issue révolutionnaire, remonte à beaucoup plus loin que 78... En fait J-P Page n’a pas d’explication politique de fond pour l’effondrement de l’univers stalinien (à part des éléments de trahison et de complot).
L’Etat-Nation
Dans le même fil que la préface d’Amir Amin, J-P Page nous fait l’apologie de l’Etat-Nation qui serait un rempart contre l’ultra-libéralisme et nous invite à défendre « la France » contre « l’Europe ». Ce nationalisme, même de gauche, nous parait illusoire et là encore oublie un peu vite l’analyse de classe. Un retour au Franc nous préserverait-il de l’exploitation capitaliste ? Ce discours de surcroit alimente et cautionne ceux qui portent un discours franchement nationaliste. Dans tous les cas c’est sur cette hypothèse que Page construit le reste de sa réflexion.
Campisme ?
Avant la chute de l’URSS les affrontements géo-stratégiques étaient structurés par l’affrontement entre deux camps : celui du capitalisme réel et celui prétenduement socialiste. Bien au delà des organisations staliniennes était partagée l’idée que, même si « il y avait des problèmes dans les pays du socialisme réel », il fallait les soutenir contre l’impérialisme. L’auteur reprend d’ailleurs la formule bien connue : dans une barricade il n’y a que deux côtés. A cet argument simpliste nous en opposerons un autre : quand la barricade est montée de travers, construit une autre ! On a vu le résultat : Une partie de l’appareil stalinien a organisé la restauration du capitalisme dans l’essentiel des pays concernés avec ou sans les éléments distinctifs de la démocratie bourgeoise. Les autres sont restés des régimes très autoritaires sinon des dictatures. Et l’effondrement définitif des illusions sur les pays du bloc socialiste ont largement contribué à désespérer non seulement Billancourt mais le prolétariat mondial.
Campisme sans camp !
Comme la barricade n’a toujours que deux côtés et que l’impérialisme américain est notre ennemi (ce qui n’est pas faux mais excuse un peu vite l’impérialisme français dont il n’est jamais vraiment question...), tous les pays qui s’affrontent aux USA mériteraient notre soutien. J-P Page va jusqu’à vanter l’avance de la Chine sur l’intelligence artificielle en oubliant de dire qu’elle sert à la reconnaissance faciale de toute la population et à la mise en place d’une notation sociale de chaque individu ! Est-ce là le socialisme qu’il désire ? Est-ce là une analyse de classe, c’est à dire une analyse des intérêts de la classe ouvrière chinoise ? Faut-il soutenir ce régime parce qu’il est en guerre pour devenir un impérialisme majeur face aux USA ? Faut-il soutenir Assad et Poutine ou soutenir la lutte des peuples opprimés dans ces pays ? Tiens d’ailleurs il n’y a pas un mot sur les Kurdes et leur lutte de libération... Décidément si on peut encore comprendre la logique de l’ancien campisme défendant « la patrie du socialisme », quel intérêt aujourd’hui à soutenir ces régimes dégueulasses ?
La FSM
Après des dizaines de pages dénonçant la CES, la CSI et le secteur international de la CGT, et avant plusieurs paragraphes pour nous vanter la FSM, l’auteur n’aura qu’une ligne pour nous informer des problèmes de la FSM : « on ne peut nier que la FSM serait sans critiques, sans carences, sans faiblesses, ni insuffisances ». Malheureusement Page ne donne aucune précision sur toutes ces difficultés ! Alors que deux questions fondamentales se posent : nombre de confédérations affiliées ne sont que le bras armé d’Etats dictatoriaux dans les entreprises ; et que beaucoup d’autres sont aux mains de Partis Communistes nostalgiques de la bonne vieille courroie de transmission et du socialisme de caserne.
Pour tous les militants attachés à la CGT et son histoire, la nostalgie de l’époque où notre confédération représentait une force bien supérieure est naturelle. Mais réorienter la CGT sur une ligne de classe ne passera pas par un retour aux pratiques du passé stalinien. Et la discrète tentative d’enrôler le fondateur de la Vie Ouvrière, Pierre Monatte, pour appuyer une telle manoeuvre n’est pas très honnête.
*Les éditions Delga sont un refuge pour des auteurs nostalgiques du stalinisme.