mardi 22 mars 2016
Nous reproduisons ici un article publié dans le mensuel « Alternative libertaire » de mars. Nous publierons d’autres points de vues trouvés dans les publications libertaires au fur et à mesure que nous les trouverons :
Fin avril prochain se tiendra, à Marseille, le 51e congrès de la CGT. La préparation est en route depuis plusieurs mois, et les textes de congrès sont tombés en début d’année. Les documents soumis aux syndicats forment une synthèse bancale et creuse. Les textes tentent de donner satisfaction à toutes les sensibilités (ou presque). Le tout est à peu près inamendable. Les débats préparatoires, la sélection des délégués et l’élection de la nouvelle commission exécutive confédérale (CEC) permettront-ils de donner une impulsion « à gauche » de la principale confédération ouvrière ? La grève générale que portent les secteurs les plus combatifs va-t-elle s’inviter dans les débats ?
Le vote du rapport d’activité
Nombre de militants et militantes critiques reconnaissent un progrès dans les postures adoptées par Philippe Martinez après les années Thibault/Lepaon : présent dans les entreprises en lutte, accessible. En boycottant la conférence sociale, il a donné un gage d’indépendance et de clarté vis-à-vis du gouvernement.
Les militants et militantes sont donc partagé-e-s entre un vote contre le bilan d’activité puisque la période inclue l’affaire Lepaon et une abstention bienveillante pour donner un encouragement à ce qu’ils espèrent être une nouvelle ligne durable de la confédération. Mais comme le document ne comporte aucune autocritique sérieuse (l’équipe autour de Martinez est la même que celle qui entourait Lepaon), il est probable que le rejet du rapport d’activité atteigne un sommet !
Le document d’orientation
D’une longueur insupportable, bavard et creux, il aurait suffit de soumettre au vote son préambule dans l’espoir qu’il soit réellement lu. On y retrouve les mots qu’il faut pour faire plaisir à tout le monde ! Pour donner des gages à l’aile gauche, la lutte des classes et le syndicalisme de transformation sociale est cité cent fois, comme les écrivains font du « name dropping », sans que jamais on leur donne le moindre contenu.
Le terme « capitalisme » est lui quasi absent. Et quand, à juste titre, le document rappelle que le syndicalisme ne peut pas être « apolitique », c’est pour préciser que la CGT doit avoir des relations avec « les forces politiques républicaines » à l’exclusion du FN. Sans préciser si on voit la moindre différence entre Sarkozy, Hollande et Besancenot ! Et ce n’est pas un détail quand, pour certains, intervenir dans les débats politiques signifie juste le retour à la mise en avant du PCF et de ses élus...
La question de l’unité n’est pas plus claire. Il est précisé que la recherche de l’unité ne doit pas conduire à baisser les contenus revendicatifs ni à freiner les luttes. Bien. Mais la formule du « syndicalisme rassemblé » qui symbolise l’axe privilégié avec la CFDT reste dans le document une formule jugée positive... Et, là encore, aucune analyse, aucune réflexion sur la trajectoire des autres confédérations et les perspectives : aucune différence n’est établie entre la CFDT et les CNT...
Tout juste peut-on repérer une formulation qui condamne probablement Solidaires et les CNT en même temps que les coordinations mais sans jamais les citer.
chèque en blanc à une superbureaucratie ?
Les ambitions de l’Ugict (union des cadres syndiqués CGT) transparaissent à tous les étages. Personne ne peut être contre syndiquer les cadres. Mais comment en faire des salarié-e-s comme les autres ? Aucune réflexion sur leur fonction de courroie de transmission des ordres patronaux !
Dans la vie réelle d’une entreprise, le rare cadre qui est prêt à adhérer à un syndicat « lutte de classe » sera aussi bien dans le syndicat « ouvrier » que dans une structure séparée. D’ailleurs c’est tout le texte qui semble rédigé par des membres de la fonction publique, très loin de la réalité militante quotidienne des petites boîtes du privé.
La démocratie est également l’objet de totales confusions. D’une part le syndicat est revalorisé comme structure de base et le syndiqué doit être décideur mais d’autre part ils doivent se soumettre aux décisions des salarié-e-s. Dangereux dans le contexte de réferendum pour valider un accord minoritaire !
La démocratie sociale est la formulation nouvelle qui vient remplacer le traditionnel tandem démocratie syndicale/démocratie ouvrière. Le terme démocratie sociale est également utilisé pour parler du dialogue social, bien loin de la lutte des classes ! Enfin sous prétexte d’adapter les structures régionales aux nouvelles réalités administratives, le congrès est censé décider une évolution statutaire majeur des comités régionaux en confiant au 52e congrès le soin d’en décider les formes précises.
D’aucuns redoutent un chèque en blanc à une superbureaucratie, bien loin de la revitalisation des syndicats mais également porteur de menaces pour les unions locales et départementales, structures de proximités menacées par le projet.
Les bilans de la Confédération européenne des syndicats (CES) et de la Confédération syndicale internationale (CSI) sont présentés sous un jour très favorable. Cela ouvre grand la porte à ceux qui veulent que la CGT retourne à la FSM. Notre voix portant plutôt sur un engagement de la CGT à faire vivre un réseau international(sans quitter CES et CSI) des confédérations combatives quelle que soit leur affiliation internationale ne sera pas facilement audible dans un affrontement qui sera caricatural et idéologique entre les partisans de la FSM et ceux de la CSI.
Quant à la grève générale, et alors que le congrès se déroulera en même temps que le débat au Parlement sur la réforme du code du travail, des secteurs combatifs et non des moindres tenteront d’en faire un sujet concret. La campagne autour des Goodyear joue un rôle fédérateur de ce point de vue.
Dernière inconnue : si l’élection du secrétaire général ne devrait pas poser problème, le dosage des sensibilités dans la composition de la future CEC pourrait être explosif. Il sera en tous cas déterminant pour comprendre si la CGT sort enfin de sa crise stratégique ou si le jeu d’équilibriste est relancé pour trois ans.