lundi 6 janvier 2025
Nous reproduisons ici une excellente interview publiée dans l’excellente publication Reporterre*. S’il est vain de regretter le retard pris par la CGT sur ce dossier*, il n’est pas inutile d’interroger la contradiction entre le retrait confédéral de l’Alliance écologique et sociale et la création bienvenue du collectif anti-PFAS.
Pour protéger les salariés exposés aux polluants éternels, la CGT lance le « collectif PFAS ». « On ne peut pas laisser les industriels être leurs propres gendarmes ! » affirme le syndicaliste Jean-Louis Peyren.
La CGT lance le 6 janvier un « collectif PFAS ». Une première dans le monde syndical, plutôt frileux sur le sujet des polluants éternels. Omniprésents dans nos produits du quotidien (poêles de cuisine, cosmétiques, emballages alimentaires, etc.), ceux-ci sont toxiques pour l’humain. Ce nouveau « collectif PFAS » sera coordonné par Jean-Louis Peyren, secrétaire fédéral à la Fédération nationale des industries chimiques CGT, en charge des questions santé-travail.
Reporterre — Pourquoi avoir décidé de faire de la question des PFAS un sujet prioritaire à la CGT ?
Jean-Louis Peyren — Les premiers concernés, ce sont les salariés. Ils les fabriquent, les utilisent dans le cadre de leur travail en tant que matière première. Il est légitime que l’on s’intéresse à cette problématique. On peut nous dire qu’on arrive un peu tard, mais c’est un sujet difficile à porter en tant que syndicaliste dans une entreprise.
Nos employeurs disent : « Si vous vous faites trop de bruit, on sera obligés de fermer et vous perdrez votre emploi. » Le salarié qui questionne l’impact des PFAS sur la santé et l’environnement deviendrait presque responsable de la fermeture de la boîte. Alors que les responsables, ce sont les pollueurs.
Les salariés ont plus peur de perdre leur emploi que leur santé. Il va falloir inverser les peurs. C’est aussi pour cela que la CGT a mis du temps à se positionner publiquement ; cela a nécessité de la pédagogie vis-à-vis des salariés. On ne veut pas travailler pour perdre sa santé, mais pour gagner sa vie.
Nous pensons que c’est en dénonçant la situation et en poussant les industriels à trouver des solutions alternatives que l’on sauvera nos emplois.
Pourquoi les travailleurs sont-ils les premières victimes des PFAS ?
Lorsque vous fabriquez un produit, vous y êtes exposé tous les jours. Surtout que les salariés sont mal protégés. Nos employeurs préfèrent aller vers des protections individuelles, par exemple des masques, plutôt que des protections collectives, comme une hotte aspirante. Or, les protections individuelles ne sont pas les plus efficaces. Quand vous êtes sur un poste pouvant être considéré comme exposé à des matières toxiques, vous avez un masque ; mais pas ceux qui gravitent autour. La hotte, elle, protège l’ensemble des salariés.
« Il faut interdire les PFAS ! »
Par ailleurs, le législateur a mis en place ce que l’on appelle les « valeurs limites d’exposition professionnelle ». Cela ne vous empêche pas d’être au contact de ces produits. Et ces valeurs sont établies produit par produit, pas à l’échelle de l’entreprise. Si vous fabriquez plusieurs produits différents, l’effet cocktail n’est pas pris en compte.
Comment réagissent les employeurs à cette demande de meilleure protection des salariés face aux PFAS ?
Quand on voit la levée de boucliers des industriels face à la proposition de loi d’interdire des PFAS… Et que, par exemple, Tefal continue à dire que la substance qui a remplacé le téflon dans ses poêles [le PTFE] n’est absolument pas dangereuse pour la santé... Il écrit même sur son site internet que l’on peut en ingérer de façon accidentelle. Comment voulez-vous qu’il pense à protéger ses salariés ?
Je rappelle quand même que le patron de Tefal a [en avril dernier] réuni les salariés Force ouvrière et CFDT devant l’Assemblée nationale, pour qu’ils disent que le téflon n’est pas si dangereux que cela [la proposition de loi, également approuvée par le Sénat, a en effet exclu les ustensiles de cuisine de l’interdiction des PFAS]. La situation est grave. Certains devront rendre des comptes plus tard.
La législation doit évoluer. Nous devons imposer un rapport de force face au lobbying des industriels.
Comment protéger la santé des salariés ?
Il faut interdire les PFAS ! On ne va pas continuer à fabriquer un produit dangereux simplement pour alimenter l’économie et faire travailler des personnes. Cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais il faut les remplacer.
Des analyses permettent-elles d’évaluer l’exposition des salariés ?
Des analyses ont été faites chez les salariés d’Arkema [le géant de la chimie] début 2024. Des PFAS ont été retrouvés en grande quantité dans le sang de certains salariés.
« On ne peut pas laisser les industriels être leurs propres gendarmes ! »
Mais il y a deux problèmes. D’abord, c’est l’entreprise qui a choisi les laboratoires d’analyses. Pour des questions de transparence, on demande à ce que ce soit aux organismes externes de les analyser. La médecine du travail, par exemple, peut faire les prises de sang, choisir des laboratoires. On ne peut pas laisser les industriels faire leur autocontrôle, être leurs propres gendarmes !
Par ailleurs, une fois que vous avez une quantité de PFAS mesurée dans le sang, on vous dit tout et son contraire : que certaines études disent que c’est dangereux, d’autres non [il n’y a pas d’interdiction générale des PFAS à l’échelle de l’Union européenne, et la majorité des quelque 12 000 PFAS aujourd’hui recensés passe sous les radars]. À un moment, il va falloir appliquer le principe de précaution, lister les PFAS, et faire reconnaître [par l’État] qu’ils sont dangereux, et peuvent provoquer certaines maladies.
On pourra ainsi faire appliquer le Code du travail, qui indique que l’employeur est responsable de la santé des travailleurs, et faire évoluer le tableau des maladies professionnelles.
En tant que syndicaliste, recueillez-vous des témoignages de malades dans les entreprises utilisant des PFAS ?
C’est difficile à dire. Quand un salarié déclenche un cancer, on peut avoir un doute. Mais il n’y a rien de scientifique dans ce que l’on constate. Par contre, quand on sonne l’alerte, ce serait bien que des scientifiques extérieurs à nos entreprises regardent si, réellement, il y a quelque chose ou pas.
Vous créez un collectif PFAS au sein de la CGT, quel est son but ?
Le but est d’abord de s’organiser, de travailler ensemble, car la CGT regroupe de nombreuses branches et métiers. Les syndicats d’Arkema et de Solvay [une usine chimique] devraient en faire partie, des syndicats de la métallurgie, la Fédération de la métallurgie aussi, l’Union départementale 69 (Rhône) et celle d’Auvergne-Rhône-Alpes.
On va essayer de travailler avec des associations écologistes et de riverains, avec des organismes comme le CNRS [Centre national de la recherche scientifique] et l’Anses [Agence nationale de sécurité sanitaire].
On voudrait commencer par cartographier les plus fortes expositions aux PFAS, les comparer aux valeurs limites d’exposition et informer les salariés que, même quand les seuils ne sont pas dépassés, il peut y avoir un danger. Faire savoir que ces valeurs ne sont pas un blanc-seing pour polluer et mettre en danger les salariés.
Tout est à faire et à construire. Nous sommes comme en 1906, quand le premier médecin a dit qu’il y avait un problème avec l’amiante. Il a fallu attendre 1996 pour qu’elle soit interdite en France.
*https://www.communisteslibertairesc...
*https://reporterre.net/La-CGT-contr...
PFAS :en savoir plus :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Subst...