lundi 17 avril 2017
La politique de rapprochement avec la CFDT connue sous le nom de « syndicalisme rassemblé » avait trouvé sa traduction institutionnelle avec la loi de 2008. Cette loi reprenait intégralement la « position commune » MEDEF-CFDT-CGT sur la réforme de la représentativité qui devait mettre fin à la représentativité automatique des cinq confédérations historiques : CGT/CFTC/FO/CFDT/CGC. Derrière la promesse d’une représentativité plus démocratique, basée sur les élections, c’est en fait toute une stratégie de recomposition syndicale créant une majorité CFDT/CGT stable qui se mettait en place afin d’ancrer durablement la CGT dans un syndicalisme d’accompagnement digne des orientations de la CES. Les luttes sociales et les résistances politiques dans la CGT ont bloqué partiellement cette stratégie mais la CFDT sort naturellement renforcée de ce long épisode.
La loi de 2008 : rappels
La représentativité des syndicats est un enjeu décisif puisqu’elle accorde ou dénie le droit de négocier et de conclure des accords tant au plan de l’entreprise que dans les conventions collectives ou les accords nationaux interprofessionnels (ANI). C’est également un enjeu important en terme de financement public des syndicats...
Nous avions d’un côté la volonté patronale d’ancrer définitivement la CGT hors d’un syndicalisme de lutte des classes en créant la nécessité d’une majorité CFDT/CGT pour passer la barre de 50%. De son côté la CFDT espérait éliminer et intégrer la CFTC privée de sa représentativité « irréfragable », voir des secteurs FO. Et intégrer l’UNSA qui n’avait aucune de chance de devenir représentative dans le seul secteur privé. Pour la CFDT, il s’agissait de construire une confédération rassemblant l’ensemble des secteurs syndicaux dirigés par des militants socialistes. En prévoyant de préserver les intérêts des cinq confédérations « historiques » pendant neuf ans, la loi laissait du temps aux négociations entre bureaucraties mais rien n’a bougé. C’est donc l’élimination de FO d’un tiers des conventions collectives (la moitié pour la CFTC !) à partir de cette année qui va bouleverser les équilibres dans les branches professionnelles et ouvrir la voie à des recompositions. Notre direction confédérale (tout comme la CFDT) voulait aussi bloquer le développement de Solidaires au moment où un pôle CGT/CFDT ouvrait des brèches sur sa gauche.
En supprimant le DS immédiatement représentatif au profit du RSS qui doit prouver sa représentativité avec des droits très restreints, la loi donnait un avantage flagrant au bénéfice des syndicats d’accompagnements. Dans les petites entreprises, l’implantation de la CGT s’en trouvait plus difficile face aux pressions du patron.
Signalons enfin qu’après l’interdiction des élections à la Sécurité Sociale qui étaient un thermomètre beaucoup plus fiable, la loi de 2008 actait en catimini la suppression également des élections prud’homales...
Relativiser le résultat ?
Il existe de nombreuses raisons de questionner « la première place de la CFDT ». La prise en compte de la fonction publique bien sûr qui inverserait le résultat. Le droit de vote dont sont privés les salariés des entreprises dépourvues d’IRP, les salariés privés d’emplois ou encore les retraités rendent fragiles les chiffres établis.
La destruction des anciens bastions ouvriers, la montée relative des cadres, la précarisation et la sous-traitance des emplois les moins qualifiés sont autant d’explications justificatives du recul de la CGT. La répression subie par les élus CGT dans les boites tandis que la CFDT est devenue bien souvent le syndicat maison impulsé par le patron est une autre justification qui s’entend.
Mais le recul de la CGT dans les grandes entreprises issues du public, mis en avant par la direction confédérale, n’est pas une excuse ! Au contraire nous y voyons l’expression du problème ! Alors soyons courageux et plutôt que de relativiser l’échec, tâchons d’en résoudre les causes.
Notre implantation dans le privé
Les deux outils de proximité et de continuité qui permettent de pérenniser la présence CGT dans un secteur sont bien connus : le syndicat et l’union locale.
Mais dans bien des cas, l’union locale ne possède plus l’attractivité qui faisait sa force. Manque d’argent, manque de moyens militants, manque de volonté politique... Il est urgent de redonner à cet échelon les moyens de travailler sérieusement et l’envie d’innover dans les activités proposées, d’ouvrir l’UL sur des objectifs plus larges de solidarités, de combats, de débats, de formations et de culture. L’appauvrissement dans le temps long du contenu des formations syndicales de base, généralement assumées par les UL, est également le signe et la cause de l’effacement d’une CGT au cœur des luttes et de la vie locale.
En détruisant systématiquement les syndicats d’industrie locaux ou régionaux au profit de syndicats d’entreprise, nous avons coupé la continuité de la syndicalisation d’un travailleur qualifié quand il change d’entreprise et nous nous sommes privés d’une structure qui permettait de soutenir les entreprises les plus faibles syndicalement en s’appuyant sur les militants des entreprises les mieux structurées. Avec le syndicat d’entreprise c’est chacun chez soi ! Mais ce qui est jouable dans les grandes entreprises ne l’est pas dans le tissu des moyennes entreprises où justement la CFDT nous a devancé. Et c’est faire reposer sur des militants souvent fragiles politiquement tout les tracas du fonctionnement juridique et administratif. Dans toutes ces petites et moyennes entreprises ouvrières où nos délégués souvent lisent et écrivent à peine le français, c’est seulement le suivi quotidien, par l’UL ou par un syndicat d’industrie local, là où ils existent encore, qui permet de former et consolider une action CGT dans la durée. L’exemple du Syndicat Général du Livre parisien en Ile de France doit être médité.
Quelle orientation pour la CGT ?
Les journalistes et autres commentateurs s’en donnent à cœur joie, mais le débat existe aussi dans la CGT : faut-il renoncer à la lutte des classes pour repasser premier syndicat dans quatre ans ? La « victoire » de la CFDT serait-elle la preuve du rejet du syndicalisme de lutte ?
Un journaliste radio qui interrogeait Pierre Laurent, dirigeant du PCF, a poussé le ridicule jusqu’à qualifié la CGT « d’anarchisante » durant le conflit contre la Loi Travail demandait au passage si Laurent regrettait le temps où la CGT était mieux contrôlée et plus raisonnable... Alors ?
Alors il nous semble surtout que les difficultés de la CGT proviennent d’une image brouillée par son attentisme durant le puissant mouvement de 2010 sur les retraites ou les « affaires » autour de Le Paon. La CGT doit trancher entre un retour clair à un syndicalisme de lutte de classe, porteur d’un projet politique émancipateur et une intégration complète au syndicalisme institutionnel conforme aux pratiques de la CES.
Si la CGT devait rallier pour de bon le pôle du syndicalisme de renoncement elle n’y retrouverait pas pour autant sa première place, celle-ci étant solidement occupée par la CFDT...
Si au contraire la CGT reprenait avec confiance le chemin du syndicalisme révolutionnaire, celui de nos fondateurs, rien ne dit qu’elle en sortirait gagnante à la loterie électorale de la représentativité mais à coup sûr elle pourrait se renforcer solidement dans l’animation des combats. Et là est bien l’essentiel !
A coup sûr il faut que notre CGT tranche pour de bon entre ces deux choix fondamentaux. Si « le choc électoral » n’est qu’une baudruche tant les chiffres en quatre ans ont si peu évolués, les questions posées à la CGT ouvrent clairement un débat choc pour le 52° Congrès !