jeudi 5 janvier 2023
Nous reproduisons ici un article intéressant publié dans la dernière édition de la revue « La Révolution prolétarienne » :
Depuis de nombreux mois, au fur et à mesure de l’approche du congrès confédéral de fin mars 2023, les interventions sur la stratégie des luttes prennent de plus en plus de place dans les CCN. Ce débat est aujourd’hui cantonné à la frange très réduite des dirigeants et dirigeantes des organisations que sont les UD et les fédérations. Quand on n’est pas proche de cette frange, c’est-à-dire que l’on n’a pas l’occasion régulière de discuter avec, on doit se limiter à la lecture des comptes-rendus du CCN publiés dans Le Peuple. Cela limite donc la vision que l’on peut se faire de ce débat, notamment sur ses détails. Cet article n’a donc pas la prétention d’en faire une analyse exhaustive, ni de proposer une stratégie de plus, bien entendu. On fera donc ici plutôt une revue de quelques questionnements et de constats possibles.
Lorsqu’on lit donc les synthèses des interventions aux CCN, on se rend compte qu’il y a un débat sur la stratégie de la CGT. Certaines organisations, comme les fédérations du commerce et de la chimie (adhérentes à la FSM et qui défendent depuis au moins le précédent congrès la ré-adhésion de la CGT à cette organisation internationale), des cheminots, ou des UD comme celles des Bouches-du-Rhône et du Val-de-Marne (qui ont adhéré aussi à la FSM), duTarn-et-Garonne, mais pas seulement, interpellent la direction confédérale sur l’absence de débat de fond lors des CCN sur la stratégie des luttes que doit impérativement se doter la CGT. Cette préoccupation rencontre un écho certain, au-delà de ce cercle, qui se traduit notamment par l’exigence de l’adoption par le CCN d’une espèce calendrier de dates de journées de grèves nationales interprofessionnelles. Ce serait là un outil qui permettrait de faire l’unité « d’abord dans la CGT », qui donnerait une vision de moyen terme de là où la direction de la CGT veut amener les équipes syndicales. Cette proposition entrerait de fait dans une évidente contradiction avec l’existence de l’intersyndicale nationale, elle-même élastique. On a pu ainsi le voir avec la décision de la journée du 27 octobre, décidée unilatéralement par la CGT. Mais on lit de plus en plus d’interventions du genre : la CGT décide pour elle-même, puis propose aux autres organisations qui n’ont en gros qu’à accepter … ou ne rien faire. Or la CGT a-t-elle la capacité de faire seule, d’imposer aux autres un calendrier de dates de mobilisation ? Peut-elle se passer des forces que représentent Solidaires et la FSU, comme de FO ? On peut sérieusement en douter.
Face à cela, on a effectivement du mal à déterminer la stratégie de l’actuelle direction confédérale. C’est un constat largement partagé à la base. Est-ce parce qu’elle serait elle-même divisée sur le sujet ? De fait, la multiplication des journées nationales apparait alors comme étant sa stratégie. Or, quel sens donne-t-elle à cette pratique, alors que les résultats ne sont pas très probants ? Que le CCN de la CGT doive se conclure, à chaque fois, avec au moins une date de journée interprofessionnelle, semble être devenu un impératif, une bouée à laquelle se raccrocher pour se dire que « au moins, on fait quelque chose ». Tout en sachant que les conditions pour sa réussite ne sont pas réunies. Comme si cette annonce, par simple répétition, alors forcément marcher à un moment. Ou comme s’il s’agissait de la seule solution actuelle pour exister face à l’ensemble du salariat, dont la CGT n’organise dans se rangs que 2 %, faut-il le rappeler pour garder en tête quelques réalités objectives.
Quelques interventions trop peu nombreuses proposent une autre démarche. Non pas d’écarter la nécessité de dates nationales, mais de ne pas les balancer à partir du CCN, et d’aller d’abord écouter et débattre avec les syndicats pour construire de telles dates. Mais ce type de propositions, qui ont pu obtenir l’approbation de membres de la direction confédérale, n’ont pas eu gain de cause.
À cela s’ajoutent de récurrentes interventions sur la multiplicité de journées d’action par les fédérations venant de fait percuter les journées nationales interprofessionnelles. On tourne en rond à ce sujet lors des CCN. Est-ce un problème ? Comment le résoudre ? Quels facteurs entrent en jeu ? Cette question donne lieu à certaines passes d’arme plus ou moins feutrées, où des fédérations et des UD se divisent. Et où la direction confédérale est accusée par certains d’attiser les oppositions. Comment un tel climat peut-il donner envie aux équipes syndicales de s’emparer d’un débat stratégique ?
Les dirigeants des organisations citées plus haut, les fédérations adhérentes ou proches de la FSM, vont cependant plus loin. Pour eux, la succession de dates de journées de grèves nationales interprofessionnelles n’a aucun sens en soi. Pourquoi ? Alors même qu’à plusieurs reprises ils ont demandé, du moins pour certains, la multiplication des appels ! En fait, ils estiment, si l’on a bien compris, qu’il manque justement du contenu anticapitaliste à ces dates. La posture que doit afficher la CGT doit être bien plus radicale dans ses objectifs qu’elle ne l’est aujourd’hui. La raison tiendrait à ce que l’actuelle direction confédérale serait majoritairement réformiste, et eux seraient les révolutionnaires. La CGT serait donc en danger de disparition. Et c’est cela qui expliquerait la dépolitisation des équipes syndicales de base. Ils ont décidé de tirer la sonnette d’alarme en publiant il y a quelques mois un document de contribution au débat sur l’orientation de la CGT, en vue du congrès confédéral à venir, et avant que la direction confédérale ne publie le document d’orientation qui sera mis en débat lors de ce congrès.
Comment cette autre stratégie se concrétise-t-elle ? On y défend la nécessité de déterminer à l’avance, la décision par la CGT de lancer une grève dans tel secteur pour une période prédéfinie, pour ensuite enchaîner par un autre secteur, etc. Ce qui provoquerait la montée automatique du rapport de forces, le pays se trouvant alors peu à peu désorganisé, si ce n’est paralysé. Une construction de l’esprit, une mentalité de Grand Quartier Général des luttes, où des dirigeants, penchés sur une carte de France, lanceraient leurs troupes obéissantes. Comment peut-on être aussi déconnectés des réalités ? Ce document ne mérite pas de plus amples commentaires. C’est bien dommage, alors que la préoccupation initiale de voir la CGT débattre de stratégie syndicale pointe vraiment un manque crucial de l’organisation syndicale de lutte la plus importante en France.
Des interventions d’UD, bien plus proches des réalités syndicales que les fédérations, il ressort des descriptions sur les grandes difficultés des structures de base de la CGT : syndicats, unions locales, voire UD elles-mêmes. À la « faiblesse politique » et au repli dans l’entreprise et les CSE des équipes syndicales, la perte de la culture d’organisation est en particulier invoquée. Cela se traduit par les retards désormais permanents dans le règlement des cotisations des syndicats au dispositif CoGéTise. S’y ajoute celle des difficultés dans la remontée des informations sur ce qui se passe dans les syndicats et les lieux de travail (négociations d’accords dont la teneur reste inconnue par l’UD et l’UL, et donc la fédération, les grèves, qu’une minorité de syndicats sont en contact réel avec leur UD et UL, etc.). Comment alors les directions de ces organisations, chacune à leur niveau, peuvent-elles avoir une idée la plus précise possible de la lutte des classes, de l’état d’esprit des salariés, et ainsi débattre dans les meilleures conditions d’une stratégie et de tactiques adéquates ? La vision de la réalité est donc, pour ces directions, de plus en plus floue, voilà un constat objectif de base. Constat qui n’est absolument pas pris en compte dans le fameux document de contribution au débat cité plus haut, par ces directions autoproclamées « révolutionnaires ».
Comment se fait-il, alors que les luttes sur les salaires connaissent un regain depuis plusieurs mois désormais, que la CGT ne soit pas en capacité de publier une analyse un tant soit peu fouillée sur ces luttes et les revendications qui y ont été portées ?
Plusieurs interventions, récurrentes, mais malheureusement trop minoritaires, venant encore une fois des UD, pointent le déficit, le mot est certainement trop faible, des liens entre les UD et les fédérations. Ce qui est tout de même problématique lorsque l’on se fixe l’objectif de lancer des vagues de grévistes au niveau interprofessionnel. Des UD constatent que des bases syndicales n’ont même pas connaissance, ou de relaient pas, les appels à l’action de leur fédération pour des luttes à caractère professionnel.
Une fédération expose qu’elle visite régulièrement ses syndicats, et déclare que les UD peuvent s’y joindre. Au petit bonheur la chance, en quelque sorte. Imaginons ne serait-ce que la moitié des fédérations de la CGT faisant de même (ce qui serait déjà un miracle), comment les UD, sans parler des UL, pourraient assurer leur présence à ces hypothétiques réunions locales fédérations-syndicats ? Chacun et chacune agit dans son coin, voilà l’image qui ressort de la CGT, image qui pourra paraître forcée, mais qui reflète une vraie réalité. Les syndicats qui se replient sur l’entreprise et le CSE, voilà une situation inquiétante. Mais en quoi sont-ils responsables de l’absence de liens forts entre fédérations et unions départementales dans la CGT ? Dans un autre temps, lors d’un congrès confédéral au début de ce XXIè siècle, la question de l’évolution des structures de la CGT avait donné lieu à un débat et à des décisions, jamais véritablement mises en œuvre. On ne dépassera pas l’absence de coordination des champs professionnels et interprofessionnel à la base, là où il faut s’atteler à (re)contruire la CGT, carence devenue problème central, par de simples volontés individuelles militantes. Le modèle cégétiste d’une trentaine de fédérations, où de fait le champ professionnel y est prépondérant, comme dans le reste du syndicalisme en France d’ailleurs, est à bout de souffle.
Ainsi, débattre de la stratégie des luttes, ne peut se faire en mettant de côté la question de l’état de l’organisation, et celle des structures dans la CGT. Simple position matérialiste.
Reste qu’à la lecture de ces comptes-rendus des CCN, afin que le débat en question puisse être pris réellement en main par les équipes syndicales de base (syndicats et unions locales), un préalable est de clarifier ce qu’est une stratégie des luttes au niveau interprofessionnel national, les nombreux paramètres internes et externes à la CGT à prendre en compte, etc. Ce serait faire là acte fondamental de formation politique, qui certes prend du temps, mais qui manque cruellement, notamment pour s’assurer que les orientations de fond de la CGT soient construites au final par ses syndicats. Il faudrait peut-être commencer par là, non ?
CCN : Comité confédéral national, qui regroupe essentiellement, les fédérations et les unions départementales
CSE : Comité social et économique
CoGéTise : système qui centralise à peu près 70 % des cotisations encaissées par les syndicats
FO : Force ouvrière
FSM : Fédération syndicale mondiale
FSU : Fédération syndicale unitaire
Solidaires : Union syndicale solidaires
UD : Union départementale
UL : Union locale
Michel T (militant UL CGT)