mercredi 15 avril 2020
Nous reprenons un article intéressant trouvé sur le site :
https://rapportsdeforce.fr/linterna...
Alors que le pays est désormais le plus touché par la pandémie de Covid-19, avec plus de 23 000 morts le 14 avril, les États-Unis connaissent une série de grèves depuis près d’un mois, pour beaucoup sauvages, liées à la situation sanitaire. Le site d’information paydayreport.com en recense pas moins de 73 sur une carte interactive, dans un contexte où l’absence de droits sociaux surexpose les travailleurs en première ligne.
« Si on va bosser malades, vous le serez aussi ! ». C’est l’un des slogans qui résonne dans les rues de New York, le vendredi 6 mars 2020. Pourtant, le président Donald Trump continue à assurer, trois jours plus tard, que tout est parfaitement sous contrôle et que la vie, ainsi que l’économie, doivent se poursuivre comme à l’ordinaire. Business as usual.
Mais les salariés new-yorkais de Chiptotle, une importante chaîne de fast-food américaine, s’attendent déjà au pire. C’est l’une des raisons qui poussent une quarantaine de ces travailleurs, d’un secteur pourtant peu habitué aux mouvements sociaux, à installer un piquet de grève devant leur restaurant, pour la quatrième journée consécutive, afin de réclamer que leur entreprise se plie aux lois de New York concernant les congés payés.
Peu de droit de grève, mais pas de droits sans grève
En effet, aux États-Unis, il n’existe presque pas de lois fédérales, s’appliquant à l’ensemble du territoire national, qui régissent le droit du travail. La loi fédérale ne garantit ainsi le droit ni aux congés payés, ni au congé maternité, ni même aux congés maladie. Ainsi, plus d’un tiers des travailleurs américains n’ont aucun droit à s’absenter de leur travail parce que malades. Ils ne peuvent que prendre sur les quelques jours de congés, le plus souvent non payés, auxquels ils ont droit. Et parmi ceux qui ont la chance de bénéficier de congés maladie payés, la moyenne est de 7 jours par an, et nombreux sont ceux qui ne peuvent s’absenter plus de trois ou quatre jours par an pour cette raison.
Le droit de grève est lui aussi très relatif. Dans ce système judiciaire de common law, basé sur la jurisprudence, le droit de grève n’est reconnu au niveau fédéral que par une seule décision de la Cour Suprême, de 1923, et reste bien fragile. Ainsi, dans la très grande majorité des états, un employeur peut procéder à un licenciement at will, c’est-à-dire sans avoir à fournir la moindre justification. Pour qu’une action de grève soit jugée légale, cependant, elle doit, elle, avoir des revendications qui rentrent dans le cadre restreint de celles autorisées par le ministère du Travail. De plus, la loi protège le droit des employeurs de remplacer leur salariés grévistes, et de conserver ces nouveaux salariés à leur poste une fois la grève finie. Mais les employeurs ont également le droit de supprimer des « avantages » aux salariés grévistes, par exemple leur assurance santé. Il est donc assez exceptionnel que ceux-ci se mettent en grève quand ils ne sont pas soutenus par un syndicat suffisamment puissant pour les protéger de représailles.
La restauration en première ligne
A Portland, les travailleurs de la chaîne de fast-food Burgerville ont cessé le travail le 22 mars. Ils demandent une prime de risque de 2 dollars, le droit à 2 semaines de congés et une prime de licenciement de 2 semaines de salaire pour ceux d’entre eux qui étaient renvoyés. En plus, bien sûr, de conditions de travail leur permettant d’assurer leur sécurité sanitaire. Ces salariés-là n’en sont pas à leur coup d’essai. En 2019, ils étaient les premiers employés de restauration rapide à former un syndicat.
En Caroline du Nord, face à la pandémie, une centaine d’employés de la restauration et du commerce alimentaire se sont mis en grève le 27 mars, notamment chez McDonald’s et Walmart. Tous syndiqués, ils ont organisé une manifestation en ligne pour protester contre l’absence de mesure et de matériel de protection sanitaire. En cause également : la réduction de leurs heures de travail et du salaire qui va avec. Des employés de McDonald’s ont aussi dénoncé l’interdiction qui leur a été faite de porter les masques qu’ils s’étaient procurés. Leur hiérarchie craignant que cela effraye les clients. Les employés de la restauration se trouvent pourtant surexposés aux risques de contamination. Mais bien que parmi les plus précaires du pays, nombreux sont ceux qui ont engagé un bras de fer avec leur employeur alors que la pandémie se rependait dans le pays.
Amazon : international cluster
Autre secteur mobilisé, celui de la livraison. Dans plusieurs entrepôts de la multinationale Amazon, des salariés se sont mis en grève, alors même que le nombre de commandes de l’entreprise explose suite au confinement de nombre d’Américains. Leurs revendications sont simples : du matériel de protection individuel, des conditions de travail permettant le respect des gestes barrières, un chômage partiel payé le temps de la désinfectiondes entrepôts et une extension du nombre de jours de congé maladie payés pour les employés présentant des symptômes du COVID-19. Et ce dans un contexte où, sur l’ensemble du territoire, des salariés ont été testés positifs dans plus de 50 entrepôts, alors que l’entreprise recrute massivement : 80 000 personnes sur un objectif total de 100 000.
Ainsi, le 30 mars, entre 50 et 200 de salariés de l’entrepôt JFK8 de Staten Island, à New York, ont quitté leur poste en milieu de journée pour demander des conditions de travail plus sûres. En représailles, l’un des organisateurs de cette action, Christian Smalls, a été licencié. Le 2 avril, un article de Vice révèle que l’entreprise se préparait à mener une campagne de dénigrement contre ce syndicaliste, pour donner une image négative du mouvement. Leur argument était que Smalls n’aurait pas eu le droit de se rendre sur son lieu de travail, après avoir été en contact avec un collègue testé positif au Covid-19, collègue qui avait travaillé en contact rapproché avec de nombreux salariés pourtant autorisés, eux, à être présents sur le site. L’objectif était de détourner l’attention des mesures prises, et surtout non prises, par l’entreprise en insistant sur la responsabilité individuelle des travailleurs.
En dehors d’Amazon, Instacart, le Uber de la livraison de courses à domicile, à aussi été confronté à un conflit social. Le 30 mars, des milliers de « travailleurs indépendants » d’Instacart ont cessé le travail pour demander du gel hydroalcoolique, des lingettes désinfectantes et une prime de risque. Leurs revendications mettent aussi en avant une autre particularité du système social américain : puisqu’ils ne sont pas salariés, ils ne bénéficient pas d’une couverture santé employeur, la seule façon pour une majorité d’Américains de se voir rembourser leurs frais médicaux.
Cheap protection sociale
Aux États-Unis, il existe bien quelques systèmes d’assurance médicale publics pour les citoyens les plus âgés, les plus pauvres, ou pour les vétérans. Mais ils sont payants. En réalité, la très grande majorité de la population dépend de son employeur pour avoir une assurance santé, pour laquelle elle paye d’ailleurs des fortunes. Chaque année, plus d’un demi-million de foyers américains se retrouvent en état de faillite personnelle en raison d’une ou plusieurs dettes médicales, souvent des factures d’hôpital. Une étude datant de 2009 montrait que chaque année, ce sont 45 000 Américains qui meurent de n’avoir pas d’assurance santé. En 2018, près de 28 millions des habitants du pays n’étaient pas assurés.
Parallèlement, le taux de chômage du pays atteint des sommets, dépassant largement ceux de la crise de 2008. Plus de 6,6 millions de résidents des USA se sont inscrits au chômage en une semaine. Un chiffre qui, comme en France, sous-estime largement le nombre réel de personnes privées d’un emploi rémunéré. Et nombre d’entre eux ont perdu, pour eux et leur famille, en même temps que leur travail, l’assurance santé qui était liée à celui-ci. En pleine crise sanitaire d’ampleur planétaire.
Les services publics en lutte
Ces dernières semaines, les travailleurs des services publics ont eux aussi mené de nombreuses actions. Le mardi 17 mars, les conducteurs de bus syndiqués de la ville de Detroit se sont mis en grève. Ici aussi les mesures de protection sont au cœur du conflit. L’un d’entre eux, qui avait dénoncé ses conditions de travail, est mort le 13 avril du Covid-19. La liste des grèves est longue.
Des égoutiers de la banlieue de Cleavland, le 20 mars. Des travailleurs sociaux de Philadelphie, le 27 mars. Des infirmières à l’hôpital ou en maison de retraite : en Californie le 30 mars, à Pittsburgh le 2 avril, à Detroit le 6 avril. À chaque fois, des demandes de moyens humains et matériels pour elles comme pour leurs patients. Il y a aussi le cas des éboueurs de Pittsburgh qui réclament matériel de protection et prime de risque, pointant du doigt leur assurance santé qui ne les couvre que très peu, et le risque financier que représente donc pour eux le fait de tomber malade.
Dans l’industrie aussi
Pendant ce temps, au niveau tant fédéral que des différents états, la réponse politique du président et de sa majorité est de dénoncer l’impact économique des mesures sanitaires comme étant plus grave que la pandémie elle-même. Et d’inciter les Américains à retourner au travail coûte que coûte. Le 23 mars, le lieutenant gouverneur du Texas, Dan Patrick, un républicain, déclarait ainsi que les grands-parents devraient être prêts à sacrifier leur vie pour la santé économique du pays de leurs petits enfants. Mais dans le secteur industriel, les travailleurs ne sont pas du même avis.
Le 3 avril, en réponse au gouverneur républicain du Massachusetts qui refusait de suspendre l’activité des chantiers de construction, le syndicat des ouvriers du bâtiment de l’état a demandé à ses 13 000 membres de se mettre en grève. Le 30 mars, des salariés de General Electric des usines de Lynn et de Boston ont également organisé des manifestations – en respectant une distance de sécurité de 2 mètres entre chaque participant – pour protester contre la décision de leur entreprise de licencier 2 600 employés de la branche aviation. À la place des licenciements, ils réclament de participer à la production de ventilateurs sur les chaînes de production de la branche médicale du groupe.
Des exemples de ce type se multiplient à travers le pays, notamment dans l’industrie automobile, l’aviation, les secteurs naval et portuaire, traditionnellement fortement syndiqués. Mais encore dans des usines alimentaires, comme en Virginie et dans l’Illinois le 3 avril, où des salariés non syndiqués se sont mis en grève, suivant les actions similaires de salariés de Georgie et du Colorado. Là, plus de 1 000 travailleurs migrants d’une usine d’emballage de viande s’étaient mis en grève. Au cœur de leurs revendications : des conditions de travail plus sûres et le droit à des congés maladie rémunérés.
Alors que la situation tant sanitaire qu’économique ne fait que s’aggraver et que les mesures politiques restent tièdes et ambivalentes, avec un président qui assume privilégier la santé économique du pays à celle, physique, de ses concitoyens, les tensions sociales déjà très fortes aux États-Unis pourraient encore s’exacerber dans les prochaines semaines.